
La cover Twitter montre la basilique de Saint-Denis, cœur de la ville et point de repère pour tous les habitants.
La ville de Saint-Denis se situe en banlieue parisienne, et elle a l’image d’une ville pauvre, souvent associée à l’insécurité. Comment la ville utilise-t-elle les réseaux sociaux pour valoriser les initiatives locales, les projets positifs qui émergent pour finalement changer l’image que l’on peut avoir de Saint-Denis ? Comment les réseaux sociaux permettent-ils à la ville d’informer et d’interagir avec les habitants, mettant en place une sorte de e-démocratie ?
La présence de la ville de Saint-Denis sur les réseaux sociaux
Le compte Facebook rassemble près de 12 000 likes, ce qui est beaucoup pour une ville de 110 000 habitants. Le rythme des publication est très variable, il dépend de l’actualité de la ville : c’est donc une logique de contenu de qualité qui prime. On peut trouver 4 ou 5 messages Facebook ou Twitter en l’espace d’une après-midi, puis un silence radio pendant 2 jours. Les réseaux sociaux renvoient souvent vers un article ou une page du site Web de la mairie. En cela, les réseaux sociaux permettent de générer du trafic vers le site Web qui reste la pierre angulaire de la communication digitale de la ville.
Le compte Twitter possède 1300 followers pour une population de 110 000 habitants environ : un peu plus de 1% des habitants est donc abonné. Ce ratio est largement inférieur au 8% pour la ville de Paris (mais qui est un cas particulier, avec une population très connectée et avec une sur-représentation d’utilisateurs de Twitter).

La chaîne dailymotion propose un contenu de qualité régulièrement mis à jour ; mais son impact reste marginal.
Mais ce n’est pas si mal, car de nombreuses villes moyennes comme Le Mans ou Orléans n’ont pas de compte Twitter officiel. En ce sens, la ville de Saint-Denis a une certaine avance sur de nombreuses villes moyennes, même si le compte Twitter pourrait davantage être mis en avant, en particulier dans la communication off-line.
La ville possède aussi un compte Flickr (pour partager des photos) et une chaîne dailymotion qui compte plus de 260 vidéos, permettant ainsi de diffuser de façon très vivante les différents événements organisés (concerts, fêtes de quartier…). C’est une excellente idée, mais les comptes Flickr et dailymotion restent assez confidentiels. Leur mise en avant sur le site Web de la mairie et sur Facebook / Twitter devrait être envisagée.
Une communication informative tournée vers les habitants
Sur Twitter et Facebook, le ton est clairement informatif. Le compte se veut une plate-forme d’information interactive et très réactive, au service des habitants. Le compte est facilement reconnaissable à son logo, celui de la ville. La cover twitter montre la basilique de Saint-Denis, cœur de la ville et point de repère pour tous les habitants.
L’objectif est d’informer les habitants tout en favorisant les interactions : les réseaux sociaux s’affirment donc comme des éléments de démocratie participative, voire même ce que Clément Pellerin appelle sur son blog l’e-démocratie. L’objectif étant aussi de combler le fossé qui peut exister entre les administrés et les institutions officielles. L’administration locale apparaît comme moins éloignée, moins froide et moins désincarnée.
On observe une réelle complémentarité entre les réseaux sociaux et le site Web : ce dernier reste l’élément majeur de la communication numérique de la ville, mais les réseaux sociaux offrent des informations plus brèves et plus directes, tout en redirigeant vers la page Web les habitants qui veulent en savoir plus. Je trouve que l’articulation page Web / réseaux sociaux est excellente, puisqu’il existe une cohérence et des synergies entre les deux, tout en offrant sur Facebook et Twitter un contenu adapté au potentiel spécifique des ces réseaux sociaux.
Pour renforcer ce sentiment de proximité, le compte Twitter n’hésite pas à souhaiter la bienvenue aux nouveaux followers ou à retweeter un message d’un habitant : ce sont là des techniques classiques pour mettre en place une démarche conversationnelle sur Twitter.
Les informations publiées sont très variées : travaux du tramway, inscriptions pour le semi-marathon, organisation d’un pique-nique ou d’un concert, don du sang, etc… La démarche informationnelle peut donc être classée en deux catégories :
- mettre en avant les initiatives locales pour donner une image très dynamique de la ville. Cela fait partie de l’arsenal dont disposent les collectivités territoriales afin d’augmenter leur attractivité, tant pour les futurs habitants que pour les entreprises. Alors que les territoires sont de plus en plus en concurrence, la présence sur les réseaux sociaux semble être un outil indispensable pour rester compétitif.
- Informer des désagréments afin de rendre la vie plus facile aux habitants.

Le compte Twitter informe les habitants des travaux et des initiatives locales. On note la présence de liens qui renvoient au site Internet de la ville.
L’autre objectif est de pousser les habitants à s’approprier leur ville, à reprendre l’espace public en main. Sur le compte facebook sont régulièrement publiées des photos montrant les rues ou les places investies par des concerts, des stands, des rencontres… Car dans les villes populaires comme Saint-Denis, de nombreux habitants ont le sentiment (souvent justifié) que l’espace public est abandonné. Des jeux concours surprenants et amusants favorisent la réappropriation du territoire dionysien.
Une communication politique ?
La ville de Saint-Denis est dirigée par un maire communiste, Didier Paillard. On peut donc se demander si le responsable de la ville sur les réseaux sociaux est indépendant du pouvoir politique, ou si au contraire il relaie la vision des élus et du maire. C’est une question qui dépasse d’ailleurs les réseaux sociaux, puisqu’on peut poser la même question pour le Journal de Saint-Denis, le journal local financé par la mairie. Certains responsables politiques se sont d’ailleurs exprimés pour critiquer ce journal, jugé tantôt trop à gauche, tantôt trop à droite (par Alain Krivine en particulier, ancien LCR). Néanmoins nous avant vu que sur les réseaux sociaux les messages sont informatifs, et non politiques.

Exemple d’événement facebook pour impliquer les habitants et favoriser la réappropriation de l’espace public, tout en créant des synergies avec les initiatives locales (ici l’expo Star Wars)
Clément Pellerin, dans son article sur les collectivités territoriales, indique que sur les réseaux sociaux les villes mettent en avant la transparence et participent de la communication des élus (par exemple avec l’interview d’un conseiller général). Ce n’est pas le cas pour Saint-Denis puisque les élus ne s’y expriment que très rarement. La séparation entre la communication de la ville et celle des élus est donc clairement établie.
Prenons l’exemple du futur Grand Paris, qui concerne très directement Saint-Denis. Les élus de la ville sont assez critiques vis-à-vis de ce projet, porté à l’heure actuelle par les socialistes. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à le faire savoir sur leurs comptes facebook et twitter personnels. Par contre, rien ne transparaît de cette polémique sur les comptes officiels de la ville.
La concurrence sur la communication territoriale
Les collectivités territoriales doivent faire face à l’existence de nombreux acteurs sur les réseaux sociaux, qui vont s’approprier à leur façon la communication territoriale. La situation est donc bien différente de celle des marques ou des entreprises classiques : par exemple, TF1 centralise sur facebook la quasi-totalité des pages et groupes relatives à la chaîne (3,3 millions de like). Les groupes évoquant TF1 mais pilotés par des particuliers sans lien avec le groupe sont peu nombreux, et surtout peu influents. Le groupe « contre TF1 et la télé réalité » ne regroupe que 88 membres, son pouvoir de nuisance est faible. Car spontanément, les internautes qui souhaitent être en contact avec TF1 vont liker la page officielle, et s’exprimer sur celle-ci. Cela ne signifie pas que TF1 contrôle totalement ce qui se dit d’elle : les commentaires d’internautes sur la page officielle peuvent être négatifs. Néanmoins on constate une sorte de centralisation institutionnelle de la présence sur les réseaux sociaux.
La problématique est tout à fait différente pour un territoire comme celui de Saint-Denis. Car si la mairie est un acteur majeur sur ce territoire, c’est loin d’être le seul à être légitime, d’où un éclatement de la présence numérique relative à la ville. Prenons quelques exemples :
Concurrence institutionnelle : Saint-Denis fait partie de l’agglomération Plaine Commune. Cette dernière dispose elle aussi de comptes facebook et Twitter, et elle est amener à parler d’initiatives sur le même territoire que la ville de Saint-Denis. Cela est souvent redondant, mais nécessaire car les deux comptes ne s’adressent pas toujours aux mêmes personnes. La ville de Saint-Denis est abonnée au compte de Plaine Commune, et n’hésite pas à retwitter ses messages pouvant intéresser les dionysiens.
Concurrence des responsables politiques : les élus possèdent bien souvent un compte facebook/Twitter, et s’expriment sur la ville en leur nom propre, sans passer par le compte facebook de la ville. C’est le cas de Bally Bagayoko, vice-président du Conseil général et membre du Conseil municipal. Il met en avant sa ville, Saint-Denis, mais de façon très personnelle et généralement beaucoup plus politisée. Il met en avant ses liens personnels avant les habitants, ce qui lui permet plus de complicité et de proximité avec eux.

Loin de concurrencer la communication numérique de la ville, les autres acteurs l’amplifient : ici le cas de l’UEFA Euro 2016
Concurrence des habitants eux-mêmes : les habitants de Saint-Denis se sont appropriés leur ville ou leur quartier, et n’hésitent pas à s’exprimer à leur façon sur les réseaux sociaux. Il existe par exemple un groupe facebook « Saint-Denis, passé, présent et futur » qui publie des photographies de la ville, en particulier des clichés anciens. Autre exemple, le groupe « Tu sais que tu viens de Saint-Denis quand », qui surfe sur la mode de ce type de pages et offre un contenu décalé, tout en offrant un espace de discussion sur la ville en dehors de toute communication institutionnelle. On trouve d’ailleurs sur ces pages l’évocation de la délinquance qui est un problème pour Saint-Denis. Néanmoins, je considère cet éclatement de la communication une force, car elle permet à chacun de s’exprimer selon un registre propre, tout en segmentant davantage les personnes visées. En centralisant le lieu des échanges, les marques ne peuvent pas profiter d’une telle énergie venue « du bas ».
Notons enfin que la concurrence vient parfois d’acteurs inattendus, comme par exemple l’organisateur de l’Euro 2016 de foot, car Saint-Denis accueillera au Stade de France de nombreuses rencontres. Mais comme pour les exemples précédents, le mot « concurrence » est mal choisi : de nombreux acteurs s’expriment sur la ville, et cela constitue un formidable porte-voix pour la communication institutionnelle. En résumé, le défi de la gouvernance existe aussi sur les réseaux sociaux : bien gérée, elle offre un potentiel d’exposition et de synergies très important.
Un storytelling territorial
Les réseaux sociaux permettent de mettre en avant une histoire, dont le but est d’obtenir l’adhésion des habitants. Dans le cas de saint-Denis, le storytelling consiste à mettre en avant l’énergie de la ville, son dynamisme, et son optimisme malgré de nombreux problèmes. Saint-Denis est une ville populaire (n’ayons pas peur de dire pauvre) qui connaît des problèmes de sécurité ; par conséquent l’image de la ville est assez mauvaise.
C’est pourquoi la ville cherche à mettre en avant les initiatives locales et les réussites, plutôt que de brosser un tableau négatif. L’histoire que la ville nous raconte, c’est que malgré les difficultés, malgré le relatif abandon de la ville par les pouvoirs publics (il y a trois fois moins de policiers nationaux par habitant à Saint-Denis que dans les arrondissements centraux de Paris !), il se dégage de cette ville un réel dynamisme. Le community manager n’oublie donc pas de surveiller les jeunes sportifs nés et formés à Saint-Denis, afin de publier fièrement leurs résultats.
Dans ce contexte délicat, les réussites n’en sont que plus belles, et les habitants peuvent être fiers de faire bouger la ville et de lui donner une belle âme, qui repose sur les valeurs de solidarité, de partage, de cosmopolitisme et de courage. Le storytelling met aussi en avant le volontarisme des pouvoirs locaux, dont l’aménagement de nouveaux axes de transports, la réhabilitation de logements insalubres par exemple. Je ne suis pas là pour juger la véracité de cette histoire, mon rôle étant simplement de l’analyser.
Sources :
Excellent blog de Clément Pellerin, article sur la stratégie numérique des collectivités territoriales : http://www.clementpellerin.fr/2014/09/15/ils-se-sont-lances-sur-les-reseaux-sociaux-episode-37-les-collectivites-territoriales/
Page wikipédia de Saint-Denis : http://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Denis_%28Seine-Saint-Denis%29
Site Web de Saint-Denis : http://ville-saint-denis.fr/jcms/jcms/j_6/accueil
Compte Twitter : https://twitter.com/VilleSaintDenis
Pge Facebok : https://www.facebook.com/VilleSaintDenis
Compte Flickr : https://www.flickr.com/photos/ville-saint-denis/
Chaîne dailymotion de la ville : http://www.dailymotion.com/villedesaintdenis
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